À LA RECHERCHE DU CLIMAT IDÉAL

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Martine TABEAUD est une géographe, professeure de climatologie à la Sorbonne. Elle considère l’action de l’homme sur l’environnement comme une réalité dont il faut tenir compte, mais s’efforce aussi de relativiser son rôle dans l’évolution climatique entre la représentation du mythe d’un climat idéal et la réalité géographique et historique.

L’article dont j’ai extrait quelques passages est paru en 2017, et mérite assurément d’être lu dans son intégralité. (1)

Jo Moreau

Le besoin de comprendre le monde où s’inscrit toute vie humaine conduit à donner du sens aux observations effectuées au quotidien. Ainsi se construisent les croyances, mais aussi les savoirs. Le temps qu’il fait, ses invariants comme ses inattendus, n’échappe pas à cette règle. Les images que les hommes se font des ciels servent à donner une cohérence au monde dans lequel ils vivent. Ils vont chercher à marier dans une vérité affirmée un stock de connaissances scientifiques, techniques, culturelles, sociales, historiquement datées et spatialement localisées. Ce que révèlent dictons, expressions toutes faites, voire slogans que tout un chacun a pu entendre ici ou là.

Et d’ailleurs, depuis la fin du XXe siècle, nous ne cessons d’entendre qu’« avec le changement climatique, il est temps d’agir », que ce soit dans la bouche de hauts responsables politiques, de membres d’associations écologistes, ou même d’hommes et de femmes peu engagés dans le militantisme. Il est question de « sauver le climat », d’agir « sur » le climat, ou « pour » le climat. Voilà qui a de quoi surprendre une géoclimatologue (abréviation de géographe climatologue).

Derrière ces slogans se cachent deux idées principales.

D’une part, un changement de paradigme. Les humains seraient devenus maîtres des forces naturelles. Fini la soumission à ce qui nous dépassait, les moyens d’agir existeraient. Cet aspect ne sera pas privilégié ici, car il a fait l’objet de nombreux écrits comme les travaux de modélisation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ou ceux discutant des succès et des infortunes des COP.

D’autre part, le postulat de l’existence d’un « climat dégradé, déréglé et donc implicitement d’une référence à un « climat idéal , un climat étalon ». Mais quelle est cette situation optimale vers laquelle il faudrait tendre ? Pour qui ? S’il s’agit d’un enjeu collectif, voire commun, par qui est-il défini comme tel ?

Une éternité figée : inventer le paradis climatique

 Le climat est une abstraction de l’attendu atmosphérique pendant une année. Le concept est malléable selon les cultures, il se prête donc bien aux interprétations subjectives. Parmi elles, on peut compter les écofictions, très en vogue depuis la fin du XXe siècle. Elles font une large place aux événements météorologiques extrêmes et sont plutôt des mythologies de la fin du monde. Elles réactivent des récits de catastrophes qui fondent de très anciens mythes, comme celui du Déluge .

On doit alors se demander si le climat idéal, le paradis climatique, se définirait plus par ce qu’il exclut que par ce qu’il est.

Inventer le jardin d’Éden.

 L’invention du paradis est une réponse à la désillusion face au monde dans lequel les humains vivent, marqué par la destruction de la nature nécessairement bonne, par les guerres, les menaces diverses, la disparition des cultures ou des identités. Les discours nostalgiques insistent sur la perte des grandeurs et merveilles du passé et considèrent comme nécessaire la survenue du cataclysme qui a modifié le cours en apparence immuable des choses. Il y a un avant et un après ce bouleversement. Le paradis, c’est avant. Quel était le climat alors ? Un printemps éternel, une brise légère, et de l’eau à profusion… (…)

Chiffrer et modéliser l’idéal climatique.

 Les approches quantitatives du GIEC n’échappent pas au flou sur la qualité du climat planétaire. Le mot climat n’est même pas défini dans le premier rapport de 1990. Le glossaire de 2001 définit système climatique, temps moyen, et consacre cinq rubriques au changement climatique. En 1992, le GIEC oppose « les changements climatiques […] attribués aux activités humaines […] qui altèrent l’atmosphère » et « la variabilité climatique due à des causes naturelles ». L’altération du climat par les activités humaines cause ses dérèglements. Mais quel était le stade antérieur ? Un seuil de + 2 °C a été défini à la COP de Copenhague en 2009, puis entériné l’année suivante, comme bascule vers un climat inconnu mais néfaste. En choisissant le début de l’ère industrielle (1880-1899) comme base de référence, on considère de facto l’avant préindustriel comme normal, si ce n’est idéal. D’ailleurs, les actions menées pour limiter les émissions de gaz à effet de serre tentent un retour vers cet état initial. Et toutes les représentations des climats futurs (graphes, cartes…) sont présentées comme des anomalies par rapport à cette référence. Quant aux images de l’avenir à cinquante ou cent ans, elles utilisent abondamment le rouge, couleur du danger, du niveau maximal d’alerte.

Cette manière de penser le climat renvoie irrémédiablement à la notion de climax due à l’Américain Frederic Edward Clements, en 1916. Il a utilisé ce terme grec signifiant « escalier », « échelle », pour désigner l’état final stable d’une formation écologique réalisant l’équilibre entre topographie, sol et climat. Mais ce concept est très théorique et très discutable, car les composantes du milieu évoluent en permanence, avec ou sans action humaine. Ce stade supposé parfait ne peut donc être atteint.

Pourtant, Catherine et Raphaël Larrère jugent cette notion utile dans la mesure où « il faut bien se représenter une nature avant sa transformation.

Outre la vision fixiste qui privilégie les états aux processus, Jean-Marc Drouin se demande : « N’y a-t‑il de climax possible que dans un environnement dont l’homme serait absent.

Le climat, tout comme le climax, idéal vu par le GIEC consacre l’extériorité des humains à la nature. Cette dernière n’existe plus dès lors qu’il y a actions humaines. Et comme l’atmosphère est un continuum, il ne peut subsister de reliques localisées du climat d’avant l’homme… Si, aujourd’hui, il convient de penser l’appartenance des humains à la nature pour habiter la planète de façon responsable, ces concepts d’idéaux climatiques de conte de fées ne doivent-ils pas être abandonnés ? Car pour paraphraser Marcel Gauchet : n’y a-til pas de la haine des hommes dans ce soudain amour du climat.

« Pour le dire brutalement, il y a bien de la haine des hommes… ?

(…)

Un instantané incertain : choisir sa météo à la carte

 Les besoins en eau liquide, en neige, en vent, etc., ne sont pas les mêmes pour tous au même endroit, au même moment. Tel jour d’août, l’éleveur souhaite la pluie, le plagiste le soleil. Un même élément caractéristique du temps qu’il fait est vécu, perçu, différemment : par les uns comme une contrainte, par les autres comme une ressource. Aucun type de temps n’est beau et bon pour tous. Le regard sur le ciel change, y compris pour la même personne, selon les âges de la vie, selon les périodes de travail ou de loisir. La quête d’un instant présent en adéquation avec ses désirs va parfois conduire à chercher des parades aux contrariétés venues du ciel.

 Fabriquer le temps.

(…) Célèbres sont les défilés-parades sur la place Rouge lors de la célébration de la révolution d’Octobre. Ils ont lieu en automne alors que les ciels sont bas et les brouillards denses. Ces conditions de visibilité ne permettent pas une retransmission télévisuelle idéale. D’où l’aspersion dans le quartier dans les heures précédentes de particules qui les font précipiter. Ces transformations du temps qu’il fait sont devenues un métier pour plusieurs milliers de météorologues chinois employés au « Bureau des modifications météorologiques » de Pékin et chargés de provoquer des précipitations lors d’incendies, de limiter les effets des vents de sable, etc. Ils se sont rendus célèbres en 1997 en affirmant qu’ils sauraient faire neiger pour le Nouvel An, puis lors des Jeux olympiques de Pékin en 2008 en se targuant de savoir briser les nuages de pluie lors des compétitions.

Certes, il y a des procédés pluriséculaires, comme le paratonnerre, qui dévie la foudre sur une cible. D’autres n’ont que quelques décennies : dissiper le brouillard sur des pistes d’aéroport en l’ensemençant avec de l’iodure d’argent pour le faire « tomber » (précipiter). Il est aussi possible de limiter le gel sur des vignobles de qualité en brassant l’air avec des souffleries. Mais ces méthodes, très coûteuses, ont une action réduite à un temps court dans un espace restreint ; et elles ne peuvent s’appliquer qu’à des phénomènes météorologiques connus et prévus.

Prédire le temps.

 Les états de l’atmosphère changent en permanence, et nul changement ne peut être prévu avec certitude. Or, dans un environnement perçu comme instable et inquiétant, de plus en plus d’individus ressentent le besoin de tout maîtriser pour se rassurer. Faute de pouvoir agir sur l’atmosphère, ils cherchent à maîtriser leur corps et leur activité, d’où la nécessité pour eux d’être informés de ce qui peut arriver. L’annonce des prévisions météorologiques la veille pour le lendemain ne suffit plus ; ils veulent être en permanence connectés en temps réel. Météo France propose ainsi une application mobile, pour « rester en permanence informé du niveau d’alerte des conditions météo du lieu de votre choix ». Plutôt que de regarder le nuage noir qui avance dans le ciel, scruter sa montre connectée qui annonce la pluie imminente rassure. L’impression d’impuissance, de vulnérabilité face à l’imprévu témoigne d’une incapacité à accepter les aléas quels qu’ils soient, de la difficulté à vivre une nouveauté météorologique qui pourtant a de fortes chances de ne pas être inédite.

Pour les professionnels, cette attitude conduit à une surenchère prévisionnelle entre services privés et publics concurrents, qui finit par les pousser à prévoir l’imprévisible ! Elle entretient par ailleurs l’illusion qu’une prévision en permanence réajustée est un outil efficace pour prendre une décision. Mais l’accumulation de données sur des phénomènes de petite taille comme un orage multiplie les incertitudes. Le risque d’apparition (fort/moyen/faible) se précise avec l’approche du phénomène. Au final, le plus souvent, le choix n’a été que différé.

(…)

Conclusion

 Lorsque les sondeurs interrogent les Français (sondage effectué en 2008) de quinze questions (logement, emploi,…) sur le département où la météo est idéale, ils plébiscitent le climat méditerranéen. Les treize départements les mieux classés bordent tous la Grande Bleue (1er : Var, 2es : Alpes-Maritimes et Bouches-du-Rhône) alors que les Ardennes, les Vosges et la Meuse forment le trio de queue. Ce que confirme en partie la question sur la meilleure qualité de vie, qui classe derniers la Seine-et-Marne, le Rhône et les Hauts-de-Seine, et dans le peloton de tête les départements du Sud en général (1er : Lozère, 2e : Pyrénées-Orientales, 3e : Ariège). Or, dans le même temps, les sondés se disent très préoccupés par le changement climatique, qui doit conduire un tiers de la France à subir un climat plus chaud, plus méditerranéen ! Il en est de même des retraités nord-américains qui choisissent de passer leurs dernières années en Floride ou en Californie, des Européens qui privilégient les Suds du continent. Tous cherchent à gagner deux à trois degrés, ce seuil fatidique à ne pourtant pas franchir. Les imaginaires forment, déforment et transforment les éventuels dangers.

Avec la soif d’idéal, que ce soit à propos du climat, d’une saison, du temps quotidien, se joue la quête du bonheur. « Et pourtant je vous dis que le bonheur existe / Ailleurs que dans le rêve, ailleurs que dans les nues », comme l’écrit Aragon .

(1) https://www.cairn.info/revue-communications-2017-2-page-21.htm

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