Histoires belges
Cet épisode extraordinaire quoique largement méconnu de l‘histoire de la seconde guerre mondiale me fut révélé par un film documentaire diffusé en son temps par la RTBF *.
Victor Martin naît le 19 janvier 1912 à Blaton, dans la province du Hainaut, en Belgique. Il fréquente l’Université Catholique de Louvain, dont il sort muni d’un doctorat en Sciences Economiques, et d’une licence en Sciences Politiques et Sociales. Il prépare une thèse sur « le placement public des travailleurs en Belgique et à l’étranger », ce qui l’ amène à voyager dans plusieurs pays européens. Ainsi, en Allemagne, il côtoie plusieurs professeurs d’universités et se fait de nombreuses relations.
Mais bientôt la guerre éclate, et la Belgique se retrouve sous occupation allemande. Maîtrisant parfaitement la langue de Goethe, il réalise les services qu’il peut rendre à la lutte contre l‘occupant, et prend contact avec le « Front de l’Indépendance » (FI).
Il s’agit d’un mouvement de résistance regroupant diverses tendances, parmi lesquelles les communistes constituaient la mouvance principale, sans toutefois y être majoritaires. Ce mouvement fut aussi -entre autres- à l’origine d’une action particulièrement spectaculaire : la parution du « faux Soir ».
En 1942, la chasse aux Juifs a pris un tournant dramatique en Belgique. Les convois partaient du centre de rassemblement de Malines vers l’Allemagne, où on en perdait toute trace. Le Comité de Défense des Juifs de Belgique, une composante du Front de l’Indépendance, imagine alors de confier à Victor Martin une mission périlleuse : se rendre en Allemagne pour connaître la vérité à ce sujet. Il présente pour ce faire un profil rêvé : une parfaite connaissance de la langue et la possibilité d’une couverture scientifique solide.
Victor Martin peaufine soigneusement son dossier et se rend à Bruxelles, dans un centre culturel ouvert par les Allemands. Il y expose son projet : effectuer des recherches sociologiques en Allemagne et renouer à cette fin des contacts avec les professeurs d’université , dont Leopold Von Wiese, qu’il y avait connu lors de voyages d’avant-guerre. Ses recherches doivent porter sur « La psychologie différentielle des classes sociales ». Son CV plaide pour lui, et son dossier solidement ficelé lui permet d‘obtenir un passeport et toutes les autorisations nécessaires. Parallèlement, un résistant lui procure des lettres d’introduction pour des familles juives dans des ghettos en Pologne.
Il prend donc le train pour Cologne, et y rencontre les professeurs qu’il avait connus avant guerre. Fort de ces contacts bien dans la lignée de sa mission officielle, il obtient du service des étrangers de la police de Cologne l’autorisation de poursuivre son voyage à Francfort, Berlin et Breslau. L’étape suivante devait l’amèner à Breslau (aujourd hui Wroclaw), où il avait contacté un professeur de sociologie de l’université, et membre militant du parti national-socialiste. Mais il se rend aussi à Sosnowiec où se trouve un ghetto ouvert, et à l’hôpital local, on lui parle d’enfants et de vieillards qui disparaissent.
Il veut compléter ces informations, et dans un café de Katowice, près du camp d’Auschwitz, il approche des travailleurs français volontaires et du STO (travail obligatoire) qui travaillent pour le complexe d’Auschwitz. Ceux-ci lui rapportent des faits qui, s’ils sont vérifiés, dépassent en horreur tout ce qu’on craignait en Belgique. Muni d’un Ausweiss, il se rend sur le chantier du camp et apprend qu’un énorme crématoire a été construit pour 2 à 3000 personnes, et que ce four ’travaille’ jour et nuit . On lui parle aussi des arrivées incessantes de trains de nuit chargés de femmes et d’enfants, qu’on ne revoit jamais. Mais sa curiosité le rend suspect, et il est arrêté en février 1943 probablement sur dénonciation à la Gestapo par un ouvrier français, sous une accusation d’espionnage industriel. Il est interné au camp de Radwitz sous le statut d’un STO, d’où il ne tarde pas à s’échapper et de train en train, sans les papiers qui lui ont été confisqués, il revient à Bruxelles, d’où il envoit un message à son groupe de résistance : « Femmes et enfants exterminés. Hommes esclaves travaillant jusqu’à épuisement, ensuite supprimés », qui sera suivi de son rapport complet.
Le journal clandestin « Le Flambeau » fait écho à ces révélations, et des tracts sont immédiatement distribués, incitant les Juifs à mettre les enfants à l’abri, et à ne plus répondre aux convocations de l’occupant. Son rapport est transmis à Londres, et la BBC en fait brièvement mention.
Il doit bien entendu entrer en clandestinité, et à Charleroi, il s’occupa de la presse clandestine. Il fut une nouvelle fois arrêté, et transféré dans un camp d’internement aux Pays-Bas, d’où il parvint à nouveau à s’échapper et fut ensuite caché par la résistance à Charleroi jusqu’à la fin de la guerre.
Après la libération, Victor Martin fut chargé par le gouvernement belge de plusieurs missions comme fonctionnaire international, notamment au Bureau International du Travail. Il décède en novembre 1989 en Haute-Savoie, où il s’était retiré.
Mais alors, pourquoi ce rapport n’eut-il pas plus de retentissement dès qu‘il fut diffusé ? Il y eut d’abord le fait que le sort des Juifs ne préoccupait pas particulièrement les Alliés, engagés dans le déroulement d’une guerre totale, ensuite les organisations juives américaines notamment, étaient préoccupées par l‘image qu‘elles donnaient à l‘opinion publique, et voulaient paraître avant tout américaines en estompant leur caractère juif. Enfin, et accessoirement, l‘antisémitisme, même moins radical, n‘était pas une caractéristique exclusivement allemande.
Son action est brièvement rapportée par l’historien américain Raul Hilberg, dans son ouvrage « la destruction des juifs d’Europe » (Fayard 1988), et son rapport est déposé au mémorial Yad Vashem.
Jo Moreau.
* « La mission de Victor Martin », film de Didier Roten (2000), d’après le livre de l’historien français Bernard Krouck (Victor Martin, un résistant sorti de l’oubli – Les Eperonniers 1995)
http://vho.org/F/j/Akribeia/2/BoisdefeuAynat114-144.html
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Merci pour votre lien, Toop. Cette étude, écrite par deux révisionnistes notoires, est intéressante mais est entachée de plusieurs déductions falsifiant certaines déclarations, sans compter les éléments qu’on pique à droite ou à gauche, à l’appui de la thèse défendue soit que Victor Martin affabule. Comme d’une part on note qu’il n’apporte aucun document comme preuve de son séjour à Sosnowitz, mais plus loin on s’étonne aussi qu’il ait conservé son passeport alors que tous ses papiers auraient été confisqués. On doute aussi que Martin ait pu pénétrer dans le ghetto local,alors que « la majorité » (mais non la totalité) des ghettos étaient fermés à clé. L’entièreté du texte est à l’avenant. Je note aussi que Jean-Marie Boisdefeu (pseudo de Maurice Haas-Colle) est de plus un antisémite qu’on peut qualifier d’hystérique (voir sa revue Dubitando). Toutefois, je prends note de l’article, étant moi-même favorable à ce que chacun puisse s’exprimer, dans des limites raisonnables bien entendu.
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