FRANCE-BELGIQUE : UNE IDYLLE SANS NUAGES ?

Comme une majorité de Belges, j’ai une énorme sympathie pour mes voisins Français et leur beau pays. Par contre, leur incorrigible égocentrisme ne manque pas de me hérisser régulièrement. Leurs journaux télévisés nous ramènent régulièrement au temps de la réflexion du savoureux Major Thompson : « Chaque jour, le monde entier se réveille avec le regard fixé sur la France… » (dixit Pierre Daninos).

La diffusion ce 28 juin par la chaîne câblée Histoire, d’une séquence de la série « Histoire de comprendre » consacrée à Kolwezi, fut proprement renversante par le silence total -même pas une allusion- au sujet du rôle de la Belgique, et éclairant d’un jour nouveau tout un pan des relations parfois tortueuses entre nos deux pays.

Mais de quoi s’agit-il ? Au printemps 1978, 3 à 4000 rebelles katangais venant d’Angola et transportés par la 2e division cubaine, prennent possession de la ville de Kolwezi dans la province congolaise du Shaba (ex-Katanga). Bientôt, des exactions sont commises et provoquent la mort d’environ 700 Congolais et de plusieurs dizaines d’Européens (plus de 250 suivant certaines sources), tandis que 3000 autres -dont une majorité de Belges- sont dans une situation très précaire.

Nous sommes alors en pleine guerre froide, et l’influence de l’Union Soviétique grandit en Afrique, en symbiose avec l’intervention armée des Cubains dans plusieurs pays. La contagion risque de gagner l’Afrique francophone, suscitant l’inquiétude du président français Valery Giscard d’Estaing. Les mutins de Kolwezi menacent le régime du Président Mobutu, qui appelle à l’aide les Français et les Belges.

Une opération conjointe est alors envisagée, mais dès la première réunion entre les autorités militaires des deux pays, des divergences profondes quant aux buts d’une intervention apparaissent. Les Français désirent une véritable opération militaire en appui des troupes du Général Mobutu qui repousserait l‘insurrection, les Belges voulant se limiter strictement à une opération humanitaire, car le torchon brûle déjà entre Bruxelles et le régime de Kinshasa. Le Président Giscard d’Estaing voit là une excellente occasion de supplanter définitivement les Belges au Congo, et de renforcer son influence sur toute l’Afrique francophone.

Les Français vont alors tout faire pour retarder l’intervention belge, afin de recueillir tout le bénéfice politique de l‘action militaire. Ils ne donneront l’autorisation de survol de leur territoire par les C130 belges qu’avec plusieurs heures de retard, tandis que l’Algérie, qui a autorisé le survol par les Français, le refusent aux Belges. Ceux-ci doivent allonger considérablement les plans de vol de leurs appareils jusqu’à ce que l’ autorisation de traverser l’espace aérien français leur parvienne enfin . Les C130, qui devaient ravitailler sur une base française en Afrique, seront bloqués sur cette base d’autres innombrables heures avant de pouvoir poursuivre leur vol. Le timing exact est encore assez trouble, et diverge suivant les sources. Ce qui est établi voit les éléments du 2e REP (Légion Etrangère) sauter sur Kolwezi dès le 19 mai, tandis que les C130 belges amenant les premiers éléments des 1100 para-commandos qui étaient bloqués à Melsbroeck n’arriveront que le 20, mais feront quand même un boulot remarqué dans le ratissage de la ville et le sauvetage des otages. Les « frictions » entre les responsables militaires se poursuivront sur place.

Dans l’émission sus-mentionnée, pas un seul mot sur l’intervention belge. D’autre part, l’intervention de la Légion est présentée comme une grande première, ignorant magnifiquement l’opération Dragon Rouge de novembre 1964, lorsque les parachutistes belges ont sauté sur Stanleyville et Paulis (opération Dragon Noir), sauvant ainsi des milliers d’otages européens. Pour mémoire, cette opération fut ainsi qualifiée par les Américains : « The Dragon operations in the Congo-Dragon Rouge and Dragon Noir-were the first, and in many ways the most complex, hostage rescue missions of the cold war, Aimed at securing the release of nearly 2,000 European residents taken hostage during the Simba Rebellion in 1964 ».

Cette émission confirme une fois de plus le fait que l’historien ne fait rien d’autre que défendre une vision de l’Histoire qui corresponde à ses propres convictions, et d’autre part qu’un seul épisode aussi manifestement biaisé déprécie la crédibilité de l’ensemble de la série.

Je n’ai pas dû faire de longues recherches pour trouver des éléments qui confortent l’opinion que les relations franco-belge n’ont décidément pas toujours été idylliques. Et ce, sans remonter à la période d’une vingtaine d’années qui vit le rattachement des provinces belges à la France (1795-1815), et qui fut émaillée de nombreux incidents (dont la « guerre des paysans », et le soulèvement contre la conscription obligatoire).

En 1848 déjà, une colonne de 2000 révolutionnaires belges armée par des autorités lilloises essaye de pénétrer en Belgique, avec l’appui du ministère des Affaires Etrangères de la 2e République, afin d’y instaurer la République. Ils furent repoussés dans l’épisode appelé « Risquons-Tout ».

Pour rester dans un contexte de guerre, nous nous rappelons aussi l’attitude particulièrement hostile du gouvernement français lors de la capitulation belge en 1940, alors qu’il s’apprêtait à agir de même…Des groupes de réfugiés belges furent alors qualifiés de « boches du Nord ».

Je suis par contre assez circonspect quant à l’éventuelle promesse d’intervention, rapportée par certains, de deux divisions françaises pour appuyer une éventuelle sécession de la Wallonie, lors de « l’affaire royale » en 1950, qui me parait relever plus de propos de bistrot que de la réalité historique.

Dans le livre de Pierre Stephany « Les années 60 en Belgique » par contre, j’ai trouvé les passages suivants, qui ne font que confirmer d’autres sources.

– Quant au rôle ambigu de la France, on le trouve dans de nombreuses sources faisant état de l’inquiétude et de l’irritation du gouvernement belge devant l’attitude de Paris. « Les Wallons constituent la prochaine sérieuse cible de la subversion française », écrivait à Londres le 13 février 1968 l’ambassadeur britannique à Bruxelles.

Selon l’ambassadeur de Belgique à Paris, des agents de l’Elysée poussaient à l’affrontement, et les organisations extrémistes flamandes recevaient des subventions françaises.

La Sûreté belge s’inquiétait tout autant de l’aide française à l’activisme wallon. (…) L’ambassadeur britannique à Paris pensait que le général (De Gaulle) encourageait le séparatisme dans l’idée de favoriser un jour la naissance, avec le voisin wallon, d’une grande francophonie. –

Il semble qu’ensuite, les convoitises de Paris sur la Wallonie se soient estompées, parallèlement au déclin industriel et à la paupérisation de celle-ci…

J’ai cité ces quelques éléments pour étayer ce qui est bien connu, soit que l’Histoire, jalonnée de grands discours et de visites officielles clinquantes et fraternelles, dissimule de nombreux et tortueux objectifs. Mais çà, ce n’est pas un scoop ! La Grande-Bretagne ne fut d’ailleurs pas en reste, dans son projet de mettre la main sur le Congo belge, (et sur le Katanga en particulier) et ce, jusque dans les années 30 sinon au-delà.

On peut aussi rappeler les pressions exercées sur le gouvernement belge pour que celui-ci interdise la projection du film de Stanley Kubrick ‘Les Sentiers de la Gloire’, comme cela était le cas en France. Et tout le monde n’a pas apprécié les « blagues belges » de Coluche …!

Quant à moi, c’est absolument sans arrière-pensée que j’attends avec impatience mes futures vacances en France !

VOS COMMENTAIRES (MODERES) SONT BIENVENUS !

Jo Moreau.

2 commentaires sur “FRANCE-BELGIQUE : UNE IDYLLE SANS NUAGES ?

  1. Pour un Français, c’est une découverte d’apprendre le rôle de la Belgique à Kolwezi, car les médias français n’en ont jamais parlé ! Giscard avait besoin de récupérer la gloire tout seul. Sa vision de l’Afrique était très particulière : voir son soutien à Bokassa. Mais « l’affaire des diamants » lui a coûté sa réélection. Bien fait pour ce grand crétin que Jean-Edern Hallier appelait « le colin froid ».
    De Gaulle a un jour parlé de rattacher la Wallonie à la France, mais c’était une boutade, typique de son humour pince-sans-rire.
    Je ne pense pas que le « rattachisme » ait un avenir, sauf peut-être si les Flamands persistent à vouloir disloquer la Belgique. Et si cela devait arriver, ce ne pourrait être que de façon démocratique, après référendum dans les deux pays. Mais la disparition de la Belgique serait une régression.
    S’il y a eu des dissensions entre les deux pays, il y a des liens plus forts, ceux du sang. Les cimetières militaires français en Belgique en témoignent, et côté français les « place Albert Ier » ou « boulevard des Belges » dans toutes les grandes villes. Mon père s’est battu en Belgique pendant la dernière guerre, il était titulaire de la médaille de Gembloux.
    Pour ma part, je suis sans doute un des rares Français à avoir passé des vacances en Belgique, dans des coins que j’aime (Ardenne, vallée de la Semois) et je garde de très bons souvenirs de l’hospitalité wallonne (et de la cuisine !)
    Restez Belges, c’est comme ça qu’on vous aime.

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  2. Grand merci pour votre commentaire. Mon propos se limitait à mettre en exergue « le dessous des cartes », tel qu’il peut exister je crois entre chaque pays. Il y aurait ainsi beaucoup à écrire sur les rapports entre la Belgique et l’Angleterre, comme je l’ai très brièvement évoqué, ou avec les USA, ce que De Gaulle avait lui-même subi… Et évidemment, la diplomatie cachée ne diminue en rien la sympathie réciproque des individus !

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